La Tortue, le Dragon Jaune et les Mouches

Yongtaï

Chine

Laurence Chellali

Comme un mystérieux message déposé par une intelligence venue d’ailleurs et d’un autre temps, la Cité Tortue repose au milieu d’une terre désormais brûlée par la sécheresse.
Érigée il y a plus de 400 ans, Yongtaï a su faire face aux terribles invasions mongoles de l’époque. Mais saura-t-elle résister aujourd’hui aux 2 ennemis qui la menacent ? Le Dragon Jaune d’un côté, nom donné à ce vent qui apporte la sécheresse dans cette région menacée par la désertification, et de l’autre, la corruption des petits fonctionnaires et élus locaux, surnommés Les Mouches en référence à la campagne anti-corruption lancée par Xi Jinping depuis 2012, et qui voudraient en faire un parc touristique dépouillé de ses habitants.

La Tortue.

C’est en 1608, sous la dynastie des Ming, qu’à été décidée la construction d’une garnison dans le cadre du plan défensif de la Grande Muraille de Chine, à la fois pour protéger les populations Han des armées mongoles et pour sécuriser la route de la soie. Comme bien souvent en Chine, les édifications urbaines n’étaient pas faites au hasard, et si elles devaient revêtir un aspect pratique, elles devaient aussi répondre aux critères du Feng Shui, une discipline chinoise millénaire qui consiste à agencer les habitations en fonction de flux énergétiques sensés favoriser le bien-être et la prospérité de ses habitants.

C’est ainsi que Yongtaï, dont le nom signifie littéralement « Prospérité éternelle », a pris la forme d’une Tortue, animal totem chinois symbolisant la longévité et la sagesse. Orientée sur un axe Nord-Sud au pied de la chaîne de montagnes Qilian, ses remparts atteignent 12 mètres de hauteur pour 1700 mètres de circonférence. Etant donnée la fonction défensive de la cité, 4 portes ont été construites en forme de jarre à chacun des points cardinaux et servaient à piéger les armées ennemies. À l’époque, la muraille comptait 12 batteries aujourd’hui disparues.

Il ne reste plus trace non plus de la tête qui a été détruite durant la Révolution Culturelle, mais celle-ci était située près d’un petit lac au sud, alimenté par une rivière souterraine. Appelé « Mer »ou « Piscine Taïji », ce lac est de première importance car selon le Feng Shui, la tortue ne peut vivre loin de l’eau. Suivant le cours de la rivière souterraine qui traverse Yongtaï, cinq puits ont été creusés et représentent les cinq organes vitaux – le cœur, les poumons, le foie, le pancréas et les reins. Et comme une tortue a toujours une queue, 5 monticules à l’extérieur des remparts la symbolisent.

À l’intérieur de la ville, 2 axes principaux Sud-Nord et Est-Ouest divisent le corps de l’animal en 4 parties inégales, elles-mêmes subdivisées en rues perpendiculaires avec un effet de labyrinthe afin de perdre l’ennemi en cas d’invasion. Encore une fois ici, le pragmatisme et la symbolique se côtoient et le dessin des ruelles est aussi censé représenter celui de la carapace.

La Tortue a-t-elle su remplir son rôle de sagesse en apportant la paix dans la région, a-t-elle tenu sa promesse de longévité et de prospérité éternelle ? Il semblerait qu’au fil des siècles et jusque dans les années 80 tel ait été le cas. De ville-garnison à l’origine, Yongtaï s’est peu à peu transformée en cité civile où ont prospéré éleveurs, agriculteurs et marchands. Mais si jusque dans les années 80, Yongtaï comptait 1500 habitants, de nos jours elle peine à en atteindre 400. Maisons éventrées, cours désertes, ruelles battues par le vent, arbres morts, aujourd’hui Yongtaï semble à l’agonie.

La sécheresse, premier facteur de dépeuplement – Le Dragon Jaune.

Ici, ce n’est pas encore le désert et pourtant c’est tout comme. La poussière, le sable et les pierres semblent manger la lumière et les couleurs. Que sont devenues les forêts qui descendaient des montagnes jusque dans la plaine et qui entouraient Yongtaï ? Où sont passés les arbres dans les ruelles sous lesquels il était bon de profiter d’un peu de fraîcheur l’été ?

Nous sommes sur un plateau à 2100 mètres d’altitude au pied des monts Qilian et le désert de sable du Tenggeli est à moins de 100 km. Le climat est rude ici. Très chaud en été et glacial en hiver, Yongtaï est constamment balayée par des vents puissants. D’ailleurs les autorités ne s’y sont pas trompées, et depuis que la Chine a décidé de rentrer dans le concert des nations qui œuvrent contre le réchauffement climatique, les forêts d’éoliennes ont remplacé les conifères d’avant et des hectares de champs de panneaux solaires sont désormais les cultures d’avant-garde (Pour rappel, en 2015, le Gansu a installé en 4 mois autant de panneaux solaires qu’en compte la France).

Le cercle vicieux de la déforestation.

La déforestation a débuté il y a 50 ans. Avec la pauvreté, les gens n’avaient d’autres choix que d’abattre les arbres pour se chauffer l’hiver. Pourtant, à peu près dans le même temps, la Chine avait lancé une très vaste campagne de reboisement afin de lutter contre l’avancée du désert qui se faisait déjà sentir à l’époque. Et cette lutte contre le « dragon jaune »n’est pas finie, loin de là. Aujourd’hui, à cause du changement climatique mais aussi de la surexploitation des terres et des nappes phréatiques, la Chine perd 260 000 hectares par an de terres arables – soit la taille du Luxembourg ! C’est pourquoi elle continue d’arrache-pied le reboisement et ce projet de « Brise-vent des 3 Nords » a pour objectif de créer une nouvelle muraille verte qui devrait faire 4500 km de long et dans certains endroits 1450 km de large. Si dans certaines régions le projet obtient de bons résultats, ce n’est pas le cas pour Yongtaï qui voit sa terre se dessécher inexorablement.

Des arbres par milliers ont bien été plantés mais aucun n’a survécu et le cercle vicieux semble être installé. Sur une terre déjà naturellement aride et avec l’accroissement exponentiel de la population avant la politique de l’enfant unique (celle-ci s’est achevée en 2015), les sols ont été surmenés par une agriculture et une industrie gourmandes en eau ainsi que par le bétail qui a été multiplié par 6. Ils ont tout simplement asséché la terre qui s’est retrouvée sans racines ni eau en surface pour la retenir, sans compter une salinisation accrue empêchant par là même la repousse des arbres.

Et sans herbe ni arbres, moins de pluie.

Ainsi, depuis 10 ans la région de Yongtaï vit une sécheresse chronique. Depuis le début de l’année à titre d’exemple, il n’a plu que 2 fois. Pourtant, presque chaque jours le ciel se charge de nuages mais ceux-ci refusent de tenir leurs promesses. Reste donc la solution de la pluie artificielle sur laquelle les autorités locales comptent. La Chine est en effet en train de développer un très ambitieux projet appelé Tianhé (Rivière du ciel) visant à ensemencer les nuages qui passent sur le plateau tibétain voisin avec des particules d’iodure d’argent et qui permettraient d’augmenter les précipitations significativement dans la région. Mais pour le moment ce projet est encore en phase expérimentale et les fermiers et éleveurs de Yongtaï doivent prendre leur mal en patience en attendant la pluie.

Cette année encore les récoltes de blé et de pommes de terre sont maigres, juste de quoi vivre en auto-suffisance. Pourtant, les paysans sont fiers d’arborer leurs champs dans lesquels ils refusent de mettre des engrais ou des pesticides pour en augmenter le rendement. De toutes les façons, ça ne suffirait pas pour dégager un surplus significatif et qui permettrait de vendre le grain. Les seuls engrais qu’ils s’autorisent sont pour les cultures dédiées au nourrissage des cochons. Et puis les mauvaises herbes qui poussent entre les rangs des cultures leur permettent d’apporter un petit surplus alimentaire aux moutons qui ne trouvent pas assez à manger.

La préservation de l’environnement a un impact négatif sur les activités pastorales.

Les Monts Qilian qui bordent cette région du Gansu et à cheval avec la province voisine du Qinhai ont été décrétés Parc National Protégé depuis 1988. Mais les règles écologiques qui étaient censées limiter l’impact de l’activité humaine sur l’environnement n’ont jamais été appliquées, au contraire, et les industries polluantes telles que l’exploitation des ressources en sable, charbon, acier ou des barrages hydro-électriques ou encore le tourisme, ont fortement détérioré l’environnement. Il a fallu attendre l’année dernière, après la visite des inspecteurs du désormais puissant Ministère de l’Environnement et qui a aboutit à un rapport accablant, pour que des mesures répressives et punitives à l’encontre des industriels et de certains responsables gouvernementaux peu regardants soient mises en place. L’impact pour Yongtaï a été immédiat : les bergers ne sont plus autorisés à faire paître leurs troupeaux et le centre touristique, installé à quelques kilomètres de là et qui amenait un peu d’activité économique a été fermé.

Pourtant certains bergers de Yongtaï continuent à emmener paître leurs troupeaux sur les Monts Qilian car ils n’ont pas le choix, quitte à payer de fortes amendes. Certains bergers passent même plusieurs jours d’affilée dans les montagnes loin de la vue des gardes-chasse car les prairies adjacentes de Yongtaï ne suffisent plus à nourrir le bétail. Cependant, et même si le cheptel a considérablement diminué, un tel surpâturage, s’il résout les problèmes immédiats ne font que fragiliser d’autant l’activité pastorale à terme.

Ils ne sont plus que 14 bergers à Yongtaï.

On compte encore 14 bergeries à Yongtaï qui se divisent en 2 types d’élevage. L’un pour les moutons qui sont élevés principalement pour leur viande (le Gansu compte une forte proportion de population Musulmane) et l’autre pour les chèvres dont le duvet fournit le fameux cachemire (la Chine et la Mongolie fournissent les 3/4 de la laine de cachemire dans le monde).

Le cheptel est très inégal d’un berger à l’autre et si certains élevages comptent jusqu’à 400 têtes d’autres n’en comportent que quelques dizaines. Un mouton s’achète et se vend1000 RMB (environ 130€) et il a fallu la plupart du temps aux bergers emprunter l’argent pour se constituer un troupeau significatif. Pris dans les mailles des remboursements, certains ont renoncé, ont vendu leur troupeaux dans les grosses bergeries industrielles et sont partis enfler les rangs des travailleurs en usine ou des ouvriers sur les chantiers de construction. Peu qualifiés, obligés de partir souvent loin de chez eux en laissant leur famille sur place, ces gens sont la plupart du temps victimes des entrepreneurs qui n’hésitent pas à les exploiter en les sous-payant, voire en ne les rémunérant pas du tout. Loin d’améliorer leurs conditions de vie, ces bergers reconvertis atteignent rarement l’Eldorado promis par le « Socialisme à la Chinoise ».

Mais d’autres s’en sortent mieux et réussissent à diversifier leurs sources de revenus. C’est le cas de ceux dont la famille dispose également de quelques lopins de terre qui leur permettent de produire des céréales, des melons ou pastèques.

Le tourisme photographique leur offre également des petits revenus complémentaires, tout du moins jusqu’à l’année dernière avant que le Parc Naturel des Monts Qilian ne soit fermé au public. Yongtaï est en effet assez prisé des photographes en recherche de photos « authentiques ». Ainsi, certains bergers se font rémunérer une centaine de RMB (environ 13€) pour faire rentrer leurs troupeaux par la porte principale sud à l’heure où la lumière est la meilleure et à leur faire faire plusieurs allers-retours afin de satisfaire les photographes. De femmes proposent des objets artisanaux – essentiellement de la broderie – et d’autres fermes proposent des logements.

Le secteur du tourisme dans le collimateur des autorités – Les Mouches.

Le village se vide de sa population.

Face à ces difficultés climatiques, les habitants de Yongtaï sont donc partis en masse vers les villes et les villages voisins et on ne compte plus que 100 foyers. En Chine rurale, le comptage par foyer plutôt qu’en nombre d’habitants est courant. Cela date de l’époque de la politique de l’enfant unique, où nombre de ceux-ci, parce qu’ils étaient le 2e ou le 3e enfant « non désiré » n’était pas déclaré. Au-delà d’un enfant en effet, les parents devaient payer une lourde amende. S’ils n’avaient pas l’argent nécessaire, leur mobilier était confisqué et ils devaient suivre des « cours de citoyenneté ». Ainsi, nombre de femmes de Yongtaï sont parties accoucher en cachette pour ne pas subir ces « punitions ». Il semblerait par ailleurs que beaucoup de femmes aient été stérilisées sous couvert de problèmes de santé.

Si la politique de restriction des naissances a eu un effet bénéfique en ce qui concerne la croissance exponentielle de la population, elle se retrouve néanmoins aujourd’hui avec un déficit démographique problématique. C’est pourquoi depuis 2015 la Chine n’applique plus cette politique et encourage même à avoir des enfants. Mais à Yongtaï, le mal a été fait. Entre l’exode et la limitation des naissances il n’y a plus d’enfants et l’école a donc été fermée il y a 5 ans. Bien entendu, d’autres écoles aux alentours sont susceptibles d’accueillir les jeunes écoliers, mais au dire des habitants de Yongtaï, celles-ci ne sont pas de bonne qualité. Et sans transport scolaire organisé – en fait sans transport du tout car ici on compte moins de 10 voitures pour tout le village – les enfants ne peuvent pas se rendre dans ces écoles. Aussi la plupart des jeunes parents sont-ils partis vers la grande ville voisine, Jingtaï.

Yongtaï, site National Historique Protégé.

Il faut dire que le gouvernement local encourage parfois fermement les habitants à partir. L’objectif pour lui : exploiter les ressources de Yongtaï. Car si l’activité agricole et pastorale ne sont plus viables, reste celle du tourisme sur laquelle les autorités comptent beaucoup.

Le village Tortue fait en effet partie des sites nationaux protégés depuis 2012 (National Cultural Relic Protection), surtout grâce à l’excellent état général de ses remparts. Le site est régulièrement entretenu et les nouvelles constructions sont désormais interdites. Enfin, tout dépend pour qui et pour quoi…

Si les habitants n’ont plus le droit de construire, d’autres ont le privilège de dénaturer le site sans que les autorités soient regardantes. Aux dires du Maire du district dont fait partie Yongtaï, « ceux qui payent peuvent faire ce qu’ils veulent. Il faut exploiter Yongtaï et ce qu’elle nous offre ». C’est le cas notamment des producteurs de cinéma qui sont friands de décors naturels authentiques. Le village a donc servi de scène pour un certain de nombre de films d’époque dont personne sur place n’a su nous donner les titres ou les noms des réalisateurs. Nous avons néanmoins réussi à retrouver la trace d’un film « Jour de gloire » qui mettait en scène l’histoire d’une communauté luttant contre un prince dévoyé. L’un des protagonistes du film était un Père Chrétien qui a fini sacrifié sur un crucifix à côté de son église. Pour les besoins de ce film, une église a donc été construite et… a été laissée sur place à la fin du tournage, au même titre qu’un certain nombre d’autres constructions, tels un faux palais ou de fausses habitations.

Une fausse église en plein milieu du village historique.

Le problème est que ces édifices de décor de théâtre, fabriqués à base de contreplaqué ne sont absolument pas faits pour durer dans le temps, aussi, 5 ans après le tournage du film, ils sont tous non seulement dans un état de délabrement avancé mais en plus devenus dangereux. Or, le gouvernement local n’estime pas nécessaire de sécuriser au moins leurs accès – on peut pénétrer dans l’église et autres faux bâtiments tout à fait librement alors même que les sols et les escaliers menacent de s’écrouler à tout moment.

On peut comprendre que Yongtaï puisse constituer un décor naturel parfait pour les films d’époque et que la stratégie économique du gouvernement local soit de fructifier cette ressource à l’instar d’un autre site de tournage à quelques dizaines de kilomètres de là. Mais ce dernier, à la différence de Yongtaï, est un site créé ex nihilo comme le seraient les studios Hollywood. N’y a-t-il donc pas une contradiction fondamentale entre un lieu historique protégé – à juste titre – et des autorisations de défigurer le village sans limites pour « ceux qui ont les moyens de payer » ?

Les autorités veulent que les gens quittent Yongtaï.

Cette contradiction ne semble pas heurter les nombreuses délégations qui viennent régulièrement faire un travail de propagande afin d’inciter les habitants à quitter le village. Aux plus pauvres d’entre eux, elles offrent des nouvelles maisons dans d’autres villages alentours. Celles-ci leur sont proposées au prix modique de 10 000 RMB (environ 7 000€) alors que pour les plus aisés elles leur sont vendues 100 000 RMB (soit 70 000€ environ). Mais l’évaluation des revenus pour l’attribution à tel ou tel prix pose problème et de nombreux habitants n’ont concrètement pas suffisamment d’argent pour acheter ces nouvelles maisons à moins de s’endetter lourdement.

Cela n’a pas l’air de gêner le Maire qui soutient que ces campagnes d’encouragement à quitter le village est pour le bien des habitants. À la question de savoir comment ils gagneront désormais leur vie, la réponse est simple : ils seront ouvriers agricoles ou sur les chantiers et n’auront plus les soucis de la sécheresse. Mais les habitants de Yongtaï ne voient pas les choses sous cet angle.

Tout d’abord, il s’agirait pour la plupart d’entre eux de quitter la maison de leurs ancêtres. Quand on sait l’importance accordée au Culte des Anciens par les Chinois, on comprend aisément que demander à un fils de laisser la maison qui a vu des générations se succéder est un vrai problème de conscience. Par ailleurs, ici, les habitants ont des opportunités de diversifier leurs revenus : un berger par exemple a souvent aussi un peu de terres qu’il cultive, il a une porcherie et d’autres étables où il peut élever des animaux pour sa consommation. Le tourisme lui permet également de gagner un peu d’argent en louant une chambre de temps en temps. Les 3 épiceries du village sont en même temps restaurants, ont elles aussi des champs, des animaux d’élevage et les femmes fabriquent des objets d’artisanat. Idem pour les instituteurs désormais à la retraite ou encore pour le docteur, aussi appelé « médecin aux pieds nus » car il fait partie de ces gens formés pour déceler et soigner les maladies les plus courantes dans les campagnes reculées. Tous ces gens savent donc que s’ils partent, ils perdront aussi leur liberté car les logements proposés ne permettent absolument pas une telle diversification.

Pour le moment ces campagnes d’incitation n’ont porté leurs fruits que sur les plus pauvres d’entre les pauvres qui n’avaient rien à perdre, et la fermeture de l’école a déjà eu pour effet le départ des plus jeunes. Mais ceux qui sont encore là aujourd’hui subissent une pression de plus en plus accrue.

La pression se fait de plus en plus sentir.

Les autorités refusent toujours d’installer l’eau courante dans le village. Pourtant sa mise en place serait décisive pour le développement touristique du village, notamment au niveau de l’hôtellerie qui aujourd’hui ne peut recevoir que des gens rompus aux conditions précaires liées à l’absence d’eau. Mais dixit le Maire, l’eau courante sera installée lorsque tout le monde sera parti. « Ça ne les gêne pas d’aller au puits, ils ont l’habitude. Et puis il ne faut pas qu’ils prennent trop de douches, l’eau est rare ici ».

À l’inverse, afin de faciliter les tournages de films, toute l’électricité a été enterrée et un réseau de bornes en béton à travers le village a été mis en place pour supporter les lourds matériels. En prévision de l’afflux touristique, des caméras de surveillance ont été installées partout dans le village. Pour le moment elles ne sont pas en fonction. Des travaux ont également été entamés à l’extérieur de Yongaï, notamment la construction d’une piste piétonne censée faire le tour du village. Bien entendu, celle-ci est destinée aux futurs touristes, en espérant toutefois qu’elle soit un jour bordée d’arbres – ce qui est plus qu’incertain compte-tenu de l’aridité du lieu – car la promenade de presque 2 km risque d’être rude sous le soleil de plomb ou battue par les vents glaciaux d’hiver. D’ailleurs, selon les ouvriers eux-mêmes, ces travaux de piste ne serviront à rien. « C’est de l’argent gaspillé, il vaudrait mieux paver les rues, il y aurait moins de poussière ici ».

Les habitants ne profitent pas des investissements de l’État.

Malgré des campagnes de propagande du Parti insistant sur le fait qu’il se soucie du bien-être des habitants, ces derniers ne sont pas dupes. « Le Maire a été élu grâce aux paquets de cigarettes qu’il a distribués à tout le monde. Il nous a promis aussi des camions citerne pour nous aider dans l’irrigation de nos champs, mais ceux qu’il a fournis sont tout de suite tombés en panne, inutilisables. Par contre, quand les gens du gouvernement viennent ici, ils arrivent tout le temps en grosses voitures 4×4 neuves. Des milliers de RMB sont dépensés et nous on n’en voit pas la couleur. Ils ne se soucient pas de nous, ils veulent qu’on parte pour se faire de l’argent avec le tourisme et les films, c’est tout ».

Yongtaï est prise en étau.

Le sort des habitants de Yongtaï semble aujourd’hui bien précaire. Pris en étau entre une sécheresse devenue endémique et des projets de développement économique qui les exclue, qu’adviendra-t-il d’eux ? La Cité Tortue, symbole par excellence de longévité et de sagesse dans la culture Chinoise saura-t-elle résister à la folie des hommes ?

La Chine a véritablement pris à bras le corps la problématique du dérèglement climatique et elle œuvre d’arrache-pied à en limiter les dégâts. Bien qu’ayant largement participé à scier la branche sur laquelle ils étaient assis en surexploitant leurs terres, les habitants de Yongtaï, à titre individuel, sont les victimes directes du changement du climat. Il y a peu de chances à court terme qu’ils réussissent à survivre dans un environnement devenu franchement hostile pour un développement serein. Ajouté à cela les Mouches, pour qui la course à l’argent, les petits arrangements avec l’industrie touristique et du cinéma sont le moteur, les habitants ont de nombreux ennemis. Mais la fin de l’histoire n’est pas encore écrite. Espérons que la Tortue tienne ses promesses de longévité et qu’elle ne fasse que s’endormir pendant un temps pour s’éveiller à nouveau pour diffuser sa sagesse !