Bajau, les deux pieds sur la terre
Dans ce coin de paradis les Bajau surnommés « nomades de la mer » occupent tout le territoire marin autour de la grande île de Malenge. Depuis des décennies ils vivent exclusivement du fruit de la pêche, se déplaçant selon les saisons et l’évolution des ressources. De fait, ils ne restent jamais bien longtemps à leurs petits ports d’attache constitués de maisons sur pilotis. Leur philosophie nomade est complètement aux antipodes de l’esprit du capitalisme.
Ce sont des pêcheurs exceptionnels capables de descendre à plus de 50m en apnée pour chasser avec de sommaires fusils sous-marins en bois ou avec un trident pour la chasse aux poulpes et aux langoustes. Très jeunes les enfants sont éduqués dans cette tradition de vie marine et acquièrent rapidement une aisance dans l’eau qui leur permet de contribuer à l’activité de la famille.
Dans les années 80, les Bajau ont subi une première tentative de sédentarisation de la part du gouvernement indonésien afin de les faire rentrer dans le moule de la civilisation. A cette époque, ils préféraient brûler leurs habitations à terre plutôt que de les habiter.
Mais comment résister au rouleau compresseur de la civilisation moderne ? Peu à peu des villages plus importants sont nés comme celui de Palau Papan marquant le vrai tournant vers une sédentarisation forcée et encouragée par les autorités.
Ce changement de mode de vie n’est pas sans conséquences.
Au village de Palau Papan, le gouvernement a fait construire un pont d’un kilomètre sur pilotis pour relier le village à l’île administrative où ont été construites toutes les infrastructures publiques (école, dispensaire, mairie..). Tous les matins les enfants du village empruntent ce pont pour se rendre à l’école et recevoir une éducation encadrée. Demain se dressera aux portes du village le futur resort « Welcom to Papan Island » afin de poursuivre le développement touristique de la zone.
Au village les premiers commerces ouvrent leurs portes suscitant la convoitise des enfants. On y trouve tout ce que notre civilisation moderne peu proposer, du Chewin-gum au Coca Cola en passant par tous les produits de beauté et la quincaillerie usuelle en provenance de Chine. Mais on y trouve aussi sous les pontons les déchets induits jetés à la mer ! Il n’existe aucune poubelle au village ni aucun système de collecte à part la possibilité de brûler le plastic, ce qui se fait très peu.
Les antennes paraboliques fleurissent malgré une disponibilité réduite du courant électrique produit par un groupe électrogène (4h00 par jour), les nouvelles constructions béton-bois gagnent du terrain et occupent maintenant l’éperon rocheux adossé au village. J’y ai même vu un scooter alors qu’il n’y a pas la moindre route à 200km à la ronde ainsi que des téléphones portables sans couverture réseau pour le moment !
Les méthodes de pêche ont aussi changé. La sédentarisation a eu pour conséquence de fortement appauvrir la zone de récolte géographiquement limité à cause du type d’embarcation traditionnelle utilisée. Devant la raréfaction des ressources, la nécessité de survivre et la forte demande du marché chinois pour certaines espèces (concombre de mer, Poulpes), les Bajau ont utilisé des méthodes plus dures : pêche à la dynamite, pêche chimique au cyanure, location de compresseurs d’air pour pouvoir rester plus longtemps sous l’eau. Certains pêcheurs y ont laissé la vie par manque de connaissance des effets de la décompression après plusieurs heures sous l’eau. Ces méthodes bien que combattues par le gouvernement pour essayer de préserver l’intérêt touristique de la zone perdure encore aujourd’hui. Il n’est pas rare au cours d’une plongée de constater un cercle de plusieurs mètres où le corail a été complètement détruit.
La sédentarisation est en marche et les effets sur l’environnement se font durement sentir. Le gouvernement pour trouver une voie de secours à l’économie locale a autorisé la déforestation et la culture du palmier. L’élevage fait son apparition dans les villages et le tourisme procure par la faiblesse des moyens de transport publiques l’opportunité aux Bajau de convoyer les visiteurs d’îles en îles ou vers la ville d’Ampana.
Les Bajau ont mis les deux pieds sur la terre…